Il y a quelques années, un volume original du livre "Les 100 chutes de glace" du légendaire Gian Carlo Grassi est passé sous ma main. C'est alors que j'ai pris connaissance de cette ascension en face nord de la Grande Hoche, une montagne du massif "calcaire" qui sépare le col de Montgenevre de Bardonecchia, le pays de mes grands-parents. Ce n'est pas la difficulté du parcours qui a attiré mon attention, mais l'éclair qui m'a causé : je me voyais remonter au fil des années, quand enfant mon grand-père m'emmenait me promener en dessous, dans ces magnifiques bois de mélèzes, aux senteurs odorantes et sous-bois doux.
Il me raconta la via ferrata « redoutée » des troupes alpines au Charrá, et me montra à proximité les sommets de la Guglia d'Arbor et de la Grande Hoche, constitués d'une crête de roche grise, très haute aux yeux d'un nain, impossible. Bien au-delà de ma vision. Un enfant ne voit qu'un mur inhospitalier, un mur.
Ainsi, lorsque Grassi a ouvert les yeux sur cette route qui traversait le mur, j'ai vu la possibilité de confirmer la croissance de ma vision personnelle de l'alpinisme. L'escalader aurait signifié vaincre le dragon que j'ai vu enfant garder le fort !
Parlons de la voie !
Je suis d'accord avec Andrea pour monter la veille chez mes grands-parents, aux Arnauds, afin de nous éviter un peu de voiture tôt le matin. C'est la première ascension que nous faisons ensemble, mais en réalité nous nous comportons comme si nous avions grimpé ensemble toute une vie. Nous nous sommes rencontrés en Sardaigne sur la falaise, pour quelques coïncidences : il est le petit ami de Tania, le réfugié du refuge de Pontese, dans la vallée d'Orco, et elle est une grande amie de Paolo, le guide de montagne d'Alagna avec qui je travaille sous la marque par AlagnaSkiGuides.
Je dois la montée à André, car en plus d'avoir grimpé en tète les longueurs dures de la voie, il a découvert que cette année la ligne est formée et grimpable. Pas une mince affaire, étant donné que notre collègue Fabio Agnese - alias Attila89 - est rentré trois fois chez lui les mains dans le sac pour n'avoir trouvé qu'une fine couche de glace comme du papier pour constituer la cascade... la magie de ce parcours ! Du fond de la vallée vous pouvez utiliser la binoculaire autant que vous voulez, mais tant que vous n'êtes pas en dessous vous n'êtes pas sûr ! ... et pour s'y mettre il faut environ deux bonnes heures à un bon rythme !
Deux heures Andrea !! Pas une heure et 40 comme tu m'as fait mettre à ton rythme ! Pourtant, il y a 800 mètres de dénivelé, avec sac à dos, corde, piolets, pitons, coinceurs… ous, vas-y doucement ! Nous arrivons à l'attaque et nous nous préparons. Je change de t-shirt en sueur et au moment où je remets le t-shirt, il est devenu raide. Brrr !
Bim boum bam. Celui qui doit ouvrir la danse est joué par hasard. Andre gagne et commence sur le premier terrain qui vient avec les 10 premiers mètres à 70 degrés, avec des bulles de glace, beaucoup de rochers mais pas beaucoup de fissures.
Il se protège ici et là, il bouge bien, mais d'en bas on voit bien qu'il n'est pas détendu. Relais.
Je pars et je comprends pourquoi : les piolets rebondissent sur le rocher à chaque coup - la glace est fine - alors que les coups qu'il a posés ne sont pas très fiables… engagé Andrea ! A partir de là commence à augmenter l'épaisseur de la glace, donc ça va de mieux en mieux.
Encore deux longueurs de douceur et de plaisir Dommage que dès qu'on commence à s'amuser, la coulée finit par faire place à un beau couloir de neige sinueux, dans une sorte de canyon des Dolomites.
On y va doucement, on prend des photos et on regarde autour de nous.Nous sommes très détendus, nous avons compris que le parcours est bien plus facile que prévu et le moral qui montait déjà en flèche explose !
Une barre rocheuse bloque le passage. Ici commence la vraie Via di Grassi. Il complète la ligne commencée par Luzi et Salino en 1980, qui ne faisait que gravir la cascade du socle.Il ne s'agit en fait que d'une belle longueure, majoritairement en rocher, qui escalade une cheminée.
Puis les difficultés baissent considérablement et continuent sur un couloir enneigé raide, étroit et creux, mais au final quasiment skiable... jusqu'au sommet !Nous sortons du petit cornice sommital et le soleil nous inonde.Nous sommes en sueur à cause du rythme que nous avons essayé de garder dans le canal… en traçant la ligne!
On se détend au soleil sur un carré d'herbe qui émerge de la neige et on se détend pendant une heure. On est comme des rois !
On ferme les sacs à dos, un salut à la croix sommitale toute proche et là-bas, on repart dans une mer de larmes, de croûte non porteuse et de souffrance à la voiture...
Moral:Parcours majestueux, mais beaucoup plus facile que prévu, malgré le fait que le premier pas était un beau M4 tassé. Excellente compagnie et solitude assurée.
*A l'époque de Grassi, qui remontait avec les pistes de ski de Beaulard… c'était autre chose
La prochaine fois je descend avec du parapente...
* Je découvre le lendemain, qu'après mon post instagram et gulliver, il y aura trois cordées sur le parcours !!Ahahaha je suis une influenceuse !
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